La création d'AFP au service d'un plan de paysage dans la Vallée de la Bruche (67)
Des acteurs du territoire impliqués dans la préservation de leur paysage
Dans le cadre de son projet de développement local, l'intercommunalité de la Vallée de la Bruche a mis en place un plan de paysage intercommunal qui a favorisé l'émergence de nombreuses associations foncières pastorales sur le territoire (21 en 30 ans). Le choix de cet outil a permis d’impulser une réelle dynamique entre tous les acteurs du territoire. La communauté de communes offre un appui financier et technique aux communes porteuses d'AFP, notamment grâce à la présence d'un chargé de mission dédié au projet.
Situation
La vallée de la Bruche est un territoire rural et montagneux, situé à 50 km de Strasbourg dans le massif des Vosges. Elle se distingue des autres vallées par son orientation sud-ouest/nord-ouest, contrairement aux vallées généralement orientées est-ouest, et bénéficie d'un climat relativement humide.
Jusqu'aux années 1970, la vallée est marquée par la présence d'ouvriers-paysans. Le foncier est donc très morcelé, avec de petites parcelles appartenant à des centaines de propriétaires différents.
Cependant, à la fin des années 1960, la déprise industrielle textile contraint les ouvriers à chercher du travail à l’extérieur et à abandonner l’activité agricole. En termes paysagers, cela se traduit par l’abandon des terres, l’enfrichement massif et la reforestation (territoire couvert à plus de 77% de forêts aujourd’hui, contrairement à une couverture antérieure de moins de 30%).
En réponse à cette mutation du territoire, en 1980, les élus des 26 communes de la vallée se sont mobilisés pour impulser une nouvelle dynamique. Via l’intercommunalité, ils choisissent de porter un projet de développement local divisé en trois piliers : économie/emploi/formation (1), tourisme/culture (2) et paysages/agriculture/environnement (3).
- 1980: Charte de développement local avec axe “Préservation du cadre de vie”
- 1986: Première AFP à l’initiative de la commune de La Broque et de l’intercommunalité (SIVOM de la Vallée de la Bruche)
- 1990 : Embauche d’un chargé de mission Paysage et Environnement
- 1991 : Réalisation du Plan de Paysage Intercommunal (PPI) et mise en oeuvre des actions
- 2022 : la vallée de la Bruche est élue “Capitale Française de la Biodiversité”
Un projet de territoire à travers le prisme du paysage
Dans le cadre de son projet de développement local, l’intercommunalité entreprend de valoriser son patrimoine naturel et agricole : “il faut s'occuper des hommes, qui s’occupent des bêtes, et qui nous font des belles prairies” expliquait le président de la Comcom de l’époque. Une première démarche d’étude paysagère intercommunale est réalisée en 1991. Elle permet de mettre en avant les grands principes paysagers du territoire, de définir quatre unités paysagères et d’élaborer un programme d’actions. Puis chaque commune est encouragée à réaliser son propre projet paysager, la communauté de communes assurant la coordination de l’ensemble dans un plan de paysage intercommunal (PPI). Ce PPI s’accompagne de la mise en oeuvre, en partenariat avec les communes, d’outils dynamiques de gestion des espaces naturels (rénovation de pâturage communaux, soutien à la maîtrise foncière, fermes-relais, associations foncières pastorales (AFP), …)
L’AFP: un outil qui permet de mobiliser de nombreux acteurs du territoire
Dans le cadre du PPI, l’outil AFP est privilégié d’abord comme moyen d'aménager les secteurs de fonds de vallée. Il s’agit de leur donner une fonction pastorale et de permettre une dynamique de retour d’agriculteurs.
L’AFP permet une animation locale et est donc portée à une échelle communale voire extra-communale. Ces associations regroupent une assemblée de propriétaires fonciers possédant des terres laissées à l’abandon et susceptibles d’être réexploitées, ainsi que des terrains boisés majoritairement d’épicéas suite à la déprise industrielle textile. Certaines communes ont inclus les pâturages communaux dans ces AFP et d’autres non. Chaque association est soutenue par un groupe de travail réunissant l’ensemble des personnes impliquées dans le projet d’aménagement : propriétaires, exploitants potentiels et élus. Le projet doit être validé à minima par 50% de l’assemblée des propriétaires. La commune est toujours très impliquée dans la mise en oeuvre du projet et un travail régulier en binôme entre élus (maire ou adjoints) et le (la) président(e) d’AFP est indispensable pour la réussite du projet.
Au cours du temps, un argumentaire très fort a été construit pour faire adhérer les propriétaires privés à la démarche : il intègre à la fois les questions de la mise en valeur agricole, environnementale, patrimoniale de leurs terres. Des plaquettes de sensibilisation ont été réalisées pour présenter les différentes opérations d’AFP déjà menées. Au fur et à mesure, 21 AFP ont ainsi été instituées à l’initiative des communes dans le cadre de leur projet paysager.
Des moyens alloués pour garantir l’animation dans le temps
La mise en place de ces AFP s’accompagne de nombreuses actions pour permettre leur gestion dans la durée : installation de troupeaux communaux pour l'entretien, fermes-relais, valorisation du bois coupé (bois d’œuvre ou de chauffage), aide à l’achat de terrains par les communes, création d’espaces publics et de chemins dans les pâturages. Ces diverses actions sont l’occasion de mobiliser les habitants de la vallée dans le cadre de journées bénévoles.
L’intercommunalité apporte un important soutien technique par la mise à disposition du chargé de mission paysage et environnement aux communes qui souhaitent s’engager dans une démarche de plan paysager qui peut déboucher sur la création d’une AFP. Ce poste est d’abord financé sur une démarche innovante (financements de l’État) puis via les contributions locales. Cette personne participe aux réflexions des groupes de travail en apportant une vision territoriale élargie. Elle a également une présence très opérationnelle sur le terrain au contact des propriétaires fonciers, qui peuvent toujours se montrer réticents à intégrer leurs parcelles au sein de ces associations. Elle accompagne les communes en amont (recherche du foncier), puis dans la gestion administrative des AFP, notamment pour les travaux nécessaires au déboisement et à la réhabilitation pastorale des terres pour l’activité agricole : recherche de financements (généralement via des aides de la Collectivité européenne d’Alsace, de la Région Grand Est, de l’État, et des fonds européens), montage administratif des dossiers, ou encore maîtrise d’œuvre des travaux pour le compte des AFP.
Les outils du plan de paysage ont permis de relancer l’économie agricole au sein de la vallée. En 35 ans, 21 AFP ont été créées, permettant la reconquête de 550 ha de terres abandonnées (4000 parcelles pour 1900 propriétaires). La SAU a augmenté de 150%, passant de 2000 ha à 3000 ha. Cela a permis une pérennité des activités de culture et d’élevage avec l’installation ou la reprise d’exploitations. Le nombre d’actifs agricoles a doublé (50 agriculteurs aujourd’hui contre 25 dans les années 1980) et la structure d’âge des acteurs agricoles a rajeuni. Deux fermes publiques ont également été créées.
L’ouverture des paysages permet de considérablement améliorer le cadre de vie des habitants et de renforcer une dynamique touristique de qualité, là où la fermeture des espaces « bouchait » les vues, assombrissait et enfermait les espaces quotidiens. Par ailleurs, l’outil AFP mis en place en périphérie des villages devient un outil de maîtrise urbaine. En effet, la dynamique agricole engendrée permet de bien comprendre l'importance des milieux prairiaux et de contenir l’urbanisation.
Enfin, dès 2006, des mesures agro-environnementales concernant la préservation de la biodiversité, la gestion des paysages, ainsi que la qualité de l’eau, ont également été mises en œuvre en partenariat avec les professionnels agricoles. En 2022, la Communauté de communes de la Vallée de la Bruche a été élue « Capitale Française de la Biodiversité » par l’Office Français de la Biodiversité et le Ministère de la transition et de la cohésion des territoires. Une distinction qui met en lumière un travail de longue haleine pour un territoire qui a su rebondir.
- Une ingénierie intercommunale (animation et présence constante sur le terrain) garantissant une continuité et cohérence de l’action dans la durée - les actions sont portée depuis plus de 30 ans
- L’association de l’ensemble des acteurs du territoire dans la réalisation des plans de paysages communaux et la mise en place des AFP
- Une pédagogie de l’exemple : des actions concrètes visibles et quantifiables ont rapidement été mises en place, permettant de montrer concrètement aux propriétaires l'intérêt de tels outils.
- La recherche d’équilibre entre espaces agricoles et forestiers ; la prise en compte des enjeux environnementaux
- Multitude de propriétaires à mobiliser (morcellement), et nécessité de maintenir la mobilisation dans le temps
- Manques d’infrastructures (bati) pour installer des sièges d’exploitation pour les nouveaux agriculteurs
- Nouvelles contraintes réglementaires pour le défrichement des parcelles
- Après 30 ans, poursuivre l’intégration de nouvelles générations de propriétaires dans les AFP
- Pouvoir mettre en réserve du foncier pour installer de nouveaux agriculteurs et des bâtiments.
- Démontrer que chaque village a intérêt à avoir son actif agricole pour garder cette maîtrise